Ce soir, j'ai les yeux plein d'ombre et le sourire usé, mais l'envie de t'écrire
est si forte que mon crayon court sur la page comme un voleur de récits.
Je t'ai si souvent parlé avec des mots-silence
J'ai peur, peur de la folie. De cette peur qui souffle comme un incendie
entre les étroites limites de la prison intérieure où je roule, où je croupis,
repliée sur moi-même, sourde, muette, aveugle à tout ce qui n'est pas moi.
Cette peur souffle en moi, piquante, glaciale comme un vent du Nord.
Le goût de cette peur, je l'ai au bout des lèvres.
Dis-leur, toi, que je ne suis pas folle.
Ma chambre est vide. Le jour, les barreaux y découpent le ciel en petits carrés.
La nuit, comme ils sont éclairés de l'extérieur par les lampes du clocher,
leur ombre dessine au plafond une mosaïque de trapèzes jaunâtres
encadrés de noir. Je contemple cette Ïuvre d'art. Je l'ai dans l'Ïil pour l'éternité.
Les jambes repliées sur ma poitrine, j'écoute l'hiver, j'essuie la sueur de mon front avec le coin de ma chemise et je sens passer entre les mots un peu d'air pur.
Tu sais, il m'arrive de parler toute seule : je dis n'importe quoi,
c'est tellement agréable !
Tu me manques tellement, je voudrais ce soir crier très fort pour que tu m'entendes, hurler comme la sirène d'un bateau qui rentre au port,
là où s'abritent les voiliers du soir.
J'ai envie d'une épaule rassurante, d'une main solide pour y déverser
toutes ces caresses non moissonnées, ces tendresses non vendangées.
Dis-moi, quel temps fait-il dehors ?
Le soleil doit tirer sa barque dans les brumes du couchant
La maison doit sentir bon le chèvrefeuille
Tu te souviens de cette nuit de septembre ?
Les étoiles étaient si proches de nous...
M'aimeras-tu encore ?
Tu sais, je suis devenue laide
Les rides ont maquillé mon visage
Et mes yeux se sont éteints,
Comme d'anciens volcans.
J'entends des bruits de clef dans le couloir...
Je t'embrasse tout doucement.
J'aimerais te voir, te recevoir.
J'attends une éclaircie.
Ce soir, j'ai les yeux plein d'ombre et le sourire usé mais tu verras, demain,
demain seulement, les églantiers seront en fleurs.

O. Collin

 

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