Et la Lumière fut

Comédie en 2 actes écrite (et déposée) en 2002 par Henri Tachez
Cette comédie fait partie du répertoire de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD) 11 rue Ballu, 75442 Paris Cedex 09. Elle ne peut donc être jouée sans l'autorisation de cette société. Nous vous conseillons d'en faire la demande un mois avant la représentation.
Lieu de l'intrigue : un presbytère...

PERSONNAGES :

L'ABBé :
Le Père André, curé de la paroisse depuis une trentaine d'années. Il se débat au milieu de problèmes matériels, des exigences de certains paroissiens et d'une énigme à résoudre.

Mathilde :
Gouvernante depuis l'arrivée de l'abbé. Dirige la cure en maîtresse de maison rigoureuse et attentive.

Francis :
Artisan qui rend de multiples services à la paroisse.

La Religieuse :
Soeur Marie-Solange. Elle vit dans une congrégation, et, en toute naïveté, cherche à s'installer comme infirmière sur le secteur

Mme Ferrant :
Dame patronnesse au caractère excessif. Elle dirige la chorale et s'occupe d'une association caritative.

Sonia :
Prostituée. Femme de bon sens qui se confie de temps en temps à l'abbé.

L'électricien :
Commerçant peu scrupuleux et la moralité détestable.

Dieu et Diable :
Se retrouvent sur les lieux devant le pauvre abbé harcelé par les événements.


ACTE I

 

 

(A la cure. L'abbé se démène au milieu de chiffres, de calculs, de factures et de devis.)

L'ABBé : Huit cents francs T.T.C., c'est encore beaucoup trop... (Il recompte)

(Entre la gouvernante)

MATHILDE : Du courrier pour vous Père André !

L'ABBé : Qu'est-ce que c'est ?

MATHILDE : Je ne l'ai pas ouvert. C'est une enveloppe adressée à "Monsieur le curé" et avec mention "confidentiel" soulignée deux fois.

L'ABBé : Il n'y a pas écrit "urgent" ?

MATHILDE : Non. Confidentiel seulement.

L'ABBé : Alors cela doit pouvoir attendre parce que, ce qui est urgent, c'est de trouver 800 F pour faire réparer l'éclairage de la crèche, Noël est dans une semaine, et c'est le premier du siècle, et même du millénaire ! .

MATHILDE : Demandez à Francis, il se fera un plaisir de nous réparer cela, et gracieusement.

L'ABBé : Non. Francis, je lui ai réservé "le plaisir" de refaire l'installation électrique de la salle de catéchisme.

MATHILDE : L'association paroissiale ?

L'ABBé : Elle aura "le plaisir" de repeindre la salle de catéchisme.

MATHILDE : La municipalité ?

L'ABBé : Je vais lui demander de remplacer le chauffage...

MATHILDE : de la salle de catéchisme...

L'ABBé : De l'église ! Sacré devis, oui, sacré... Mais, pour l'instant, il me faudrait 800 F, je ne les trouve pas. (Il regarde l'enveloppe.)... Où l'avez-vous trouvée cette enveloppe ?

MATHILDE : Dans la sacristie, bien en évidence sur l'étagère. Je me demande...

L'ABBé : Curieux. Enfin je verrai.

MATHILDE : Curieux, curieux, en tout cas, vous, vous ne l'êtes pas trop.

L'ABBé : Chaque chose en son temps Mathilde. Pour l'immédiat, je suis financièrement gêné. Je serai curieux après. (Il réfléchit.)

C'est quand même un comble, je suis pauvre, et en plus, j'ai des problèmes d'argent !

MATHILDE : Moi, c'est continuellement que je suis financièrement gênée, et ça ne m'empêche pas d'être curieuse !

L'ABBé : Je sais. Vous avez sorti la boite à musique pour la crèche ?

MATHILDE : J'allais le faire.

L'ABBé : Eh bien ! Faites le tout de suite, que l'on n'ait pas encore une mauvaise surprise. Merci Mathilde.

(La gouvernante se retire, l'air pincé. L'abbé se précipite sur l'enveloppe.)

Qu'est-ce que c'est encore que cette histoire ? (Il lit.)"Une enveloppe vous attend dans votre confessionnal. Urgent " Voilà que l'on prend le confessionnal pour la poste restante. Et c'est urgent ! Allons voir cette urgence. (il se lève et prend son blouson)

(Entre Francis.)

FRANCIS : Il y a un problème Père André ? Je viens de croiser Mathilde, elle semblait bien soucieuse, et elle se dirigeait vers l'église au pas de charge.

L'ABBé : Je lui ai demandé de récupérer la boite à musique pour la crèche, je ne pensais pas que ce serait pour elle un sujet de préoccupation.

FRANCIS : Il vaudrait mieux se préoccuper de l'éclairage de cette crèche. L'année dernière, nous avons eu panne sur panne. C'est un miracle que rien n'ait sauté.

L'ABBé : La crèche est sous une bonne étoile Francis. On va déjà terminer l'installation et on verra ce qui se passe. Peut-être faudra-t-il...

(La gouvernante entre en trombe, une grosse enveloppe à la main.)

MATHILDE : Il m'avait semblé... Bonjour Francis, déjà là ?

FRANCIS : On en reparlera, je crois qu'il faut que je me retire.

(Mathilde surveille Francis qui sort.)

L'ABBé : Il vous avait semblé Mathilde ? (il repose son blouson et s'assoit)

MATHILDE : Ce matin, pendant que je disposais les fleurs sur l'autel, il m'a semblé entendre comme un grincement. Mais je n'y ai pas donné d'importance. C'est votre histoire d'enveloppe confidentielle qui m'a tracassée et d'un seul coup, l'éclair : confidentiel... confessionnal... Le grincement, je le connaissais bien, c'était la porte du confessionnal. J'en viens. Et voilà ce qui était déposé à votre place. (Elle lui tend l'enveloppe.)

L'ABBé : (Il lit.) Monsieur le curé Personnel Ah ! nuance !

MATHILDE : Á mon avis, c'est une somme importante.

L'ABBé : (surpris et inquiet) Mais, vous l'avez ouverte ?

MATHILDE : Non, c'est "Per-son-nel"... Mais je l'ai bien tripotée.

L'ABBé : Et vous n'avez vu personne, évidemment, ni vers le confessionnal, ni vers la porte de la sacristie ?

MATHILDE : Je vous ai dit que j'arrangeais les fleurs sur l'autel, je tournais le dos...

L'ABBé : Ne vous fâchez pas Mathilde ! Je vous remercie. Vous pouvez aller.

(La gouvernante se retire en se retournant plusieurs fois.)

L'ABBé : (s'assure du départ de Mathilde, et ouvre l'enveloppe.) Non de Dieu ! Pardon, ça m'a échappé... Mais quel choc !

(Il sort de l'enveloppe des liasses de billets de banques. Il y a une lettre qu'il lit.)
" Merci de faire faire l'échange de ces francs en euros. à un prêtre, la banque ne posera pas de questions. Opération faite, déposez l'enveloppe où vous avez trouvé celle-ci. Je surveillerai. Je compte sur votre collaboration et sur le secret du confessionnal. "

(Il retire une petite enveloppe d'entre les liasses. Il lit.)

" votre commission pour vos bonnes oeuvres "

(L'abbé s'effondre sur un siège, complètement abasourdi.)

(Il se redresse péniblement et adresse son discours au ciel.)

C'est une mise à l'épreuve ?
Il y a un instant, je cherchais quelques centaines de francs, et d'un seul coup, vous m'envoyez... Enfin, quand je dis vous, je récupère... (Il plonge les doigts dans l'enveloppe.) Oh ! là là... Et de plus, le secret du confessionnal qui m'échappe parce que Mathilde a tout de suite décelé le contenu de l'enveloppe. Elle ne me laissera pas en repos tant qu'elle n'en saura pas d'avantage. Je dois en parler avec elle... Je ne peux pas mentir... Inspirez-moi, aidez-moi !
Vous l'avez déjà fait... Si... Don Camillo... Je suis même d'accord pour manger des pâtes à chaque repas... (Il replonge dans l'enveloppe.)
800 F, pas plus... (Il se reprend.) Non ! ça, c'était la tentation. Et c'est sans doute de l'argent pas très propre...
Mon église n'est pas un paradis fiscal. Mais quelqu'un compte sur moi. C'est peut-être une bonne personne, d'ailleurs, elle a pensé à mes oeuvres. (Il sort la petite enveloppe et compte.) Il y a largement de quoi réparer l'éclairage... Non, (Il se reprend.) c'est la tentation... Quoi que... Un don, c'est un don... Mais il est écrit "votre commission", c'est-à-dire qu'il me paye ma prestation. Je ne suis pas un agent de change non plus. (Il replonge dans la grosse enveloppe, compte quelques liasses.)
Oh ! là là...
Aidez-moi, quelques mots, une idée, tout seul, je sens que je vais craquer.

(L'abbé referme soigneusement l'enveloppe et cherche un endroit pour ranger l'encombrant paquet.)

(La gouvernante, de la porte.)

MATHILDE : Père André...

L'ABBé : Encore du courrier confidentiel ?

MATHILDE : Non. Une visite pour vous. Entrez !

(Mathilde laisse passer la religieuse. L'abbé se retourne à peine.)

L'ABBé : Bonjour madame, accordez-moi une minute.

(Il cherche un endroit où ranger l'enveloppe encombrante, il la garde à la main.)

La RELIGIEUSE : Bonjour mon père. Merci de me recevoir. Je suis soeur Marie-Solange, je pense que vous avez lu mon petit mot ?

L'ABBé : (se plante devant la visiteuse, hébété...)

-Comment ? C'était donc vous ?

La RELIGIEUSE : Vous trouvez que j'ai du toupet n'est-ce pas ? Mais j'ai pensé que vous étiez la première personne à qui je pouvais m'adresser.

L'ABBé : Tiens donc ! Comme ça on ne sort pas de la profession !

La RELIGIEUSE : C'est un peu cela. Mais vous semblez fâché ; je ne veux pas vous créer de soucis. Je comprendrai très bien si vous ne pouvez pas me soutenir dans ma démarche.

L'ABBé : C'est plus qu'une démarche. Je ne suis vraiment pas compétent pour ce genre d'échange.

La RELIGIEUSE : Mais ce n'est même pas un échange. C'est vrai, je ne l'ai pas précisé dans ma lettre. Tout d'abord, je ne suis pas seule. Nous sommes trois dans cette affaire.

L'ABBé : Seule ou à trois, pour moi, le problème est le même. Mais vous me disiez que ce n'était pas un échange ; je ne comprend pas bien !

La RELIGIEUSE : Vous savez très bien que, tout comme vous, nous ne pouvons rien posséder, donc, nous n'avons rien à échanger et ce dont nous disposons actuellement, pour trois, c'est insuffisant.

L'ABBé : Même pour trois, je trouve que c'est déjà pas mal !

(Il reprend l'enveloppe, la regarde, sort quelques liasses.)

Il y a quand même de quoi être tranquille pendant quelques semaines !

La RELIGIEUSE : (qui ne regarde pas l'enveloppe. Elle est inquiète.)

Vous êtes sûr que vous vous sentez bien ?

Vous ne voulez pas vous asseoir ?

L'ABBé : Si je m'assois, je m'écroule (il lui présente l'enveloppe.)

C'est à vous ou ce n'est pas à vous ?

La RELIGIEUSE : C'est à mon tour de ne plus comprendre.

L'ABBé : Vous me parlez de quoi depuis votre arrivée ?

La RELIGIEUSE : De la lettre que je vous ai adressée la semaine dernière vous expliquant que nous recherchions un local pour installer un cabinet d'infirmières, avec deux de mes soeurs. Et nous avions pensé que vous pourriez nous aider.

L'ABBé : (s'écroule à nouveau sur un siège puis se relève.)

-Votre lettre... Je ne me souviens pas... Peut-être Mathilde... Excusez-moi. (Il fouille dans un paquet de courrier au-dessous duquel il glisse l'enveloppe.)

La RELIGIEUSE : (reconnaît sa lettre au passage.)

-C'est celle là !

L'ABBé : Je suis désolé, je ne l'ai pas lue. Les autres non plus d'ailleurs.

La RELIGIEUSE : Vous êtes débordé Père André, je ne veux pas vous importuner plus longtemps. Je vois que je vous dérange, je reviendrai.

L'ABBé : (l'air hébété, ailleurs.)

-Oui, merci, revenez plus tard !

(La religieuse se retire. L'abbé s'adresse au ciel.)

C'est l'épreuve qui continue ? Je fatigue vraiment.

Juste un petit signe d'encouragement, ça me remonterait.

Arrêt sur image Noir Lumière

(Entrent deux personnages qui observent chaque geste du pauvre abbé qui va et vient dans la pièce. Il passe devant, derrière les deux personnages ; les contourne ; on se rend compte qu'il ne les voit pas.)

(Le premier visiteur, tenue très sobre, visage fermé, inquiet, sérieux. Le second, petit, sautillant, yeux plissés malicieux, sourire narquois, et satisfait devant le désarroi de l'abbé, il se frotte les mains.)

Sonnette

Mme FERRANT : (du couloir.) Bonjour Père. Vous êtes seul, c'est très bien. Il faut que je vous parle. (Elle entre, exubérante, fofolle.)

L'ABBé : Bonjour Mme Ferrant. (Au ciel.)... Merci pour le remontant !

Mme FERRANT : Je veux disposer de la salle de catéchisme ce matin pour faire répéter la chorale.

L'ABBé : Vous ne répétez pas dans l'église ?

Mme FERRANT : êtes-vous passé à l'église ce matin ? Moi, oui ! Même votre vin de messe doit y geler.

(Le diable se penche vers l'abbé.)

L'ABBé : Vous faites bien de me prévenir, je dirai la messe avec du vin chaud.

(Dieu fronce le sourcil en regardant le diable puis fonce vers l'abbé.)

Mme FERRANT : Vous osez plaisanter sur un tel sujet !

L'ABBé : Excusez-moi, ça m'a échappé, mais c'est vous qui avez commencé ! Disposez de la salle de catéchisme, bien évidemment... (Ton soupçonneux.) Vous êtes passée à l'église ce matin ?

Mme FERRANT : Oui, pour prendre la température. Quand allez vous vous décider à faire installer un vrai chauffage ? Et puis je voulais voir où en était la crèche.

(Le diable se penche vers Mme Ferrant.)

Il n'y a toujours pas d'éclairage correct. Et quel froid ! Heureusement que l'on n'a pas encore mis l'enfant Jésus, il attraperait une bronchite !

(Dieu fronce les sourcils.)

L'ABBé : Je vous en prie, on ne plaisante pas sur ce sujet !

Mme FERRANT : Excusez-moi, ça m'a échappé ! Mais les choristes pourraient bien en attraper une de bronchite. Je les ferai tousser en mesure !

L'ABBé : Voilà un joli nom pour votre chorale : tousse en choeur !

Mme FERRANT : Très drôle. Vous viendrez poser des ventouses.

L'ABBé : Chacun son rôle; d'abord le médecin, moi je passe après. Je suis le service après-vente de la médecine, en cas de panne évidemment !

Mme FERRANT : Je ne vous connaissais pas aussi cynique. Pour un prêtre quand même !

L'ABBé : Les médecins en ont autant à notre service. (Le diable souffle.) En quelque sorte, je suis le contrat confiance de l'âme

Mme FERRANT : (Dieu souffle.) Vous feriez bien de relire les termes du contrat, parce qu'il me semble que les âmes de vos paroissiens, vous les délaissez un peu !

L'ABBé : (montrant son bureau.) Le contrat, il est au-dessous de ce tas de courrier. Dès que je serai à jour, je relirai les clauses, c'est promis.

(Le diable se frotte les mains.) En parlant de bronchite et de ventouses, vous ne connaissez pas un local disponible où l'on pourrait aménager un cabinet médical ?

Mme FERRANT : Vous voulez vous reconvertir, si j'ose dire ?

L'ABBé : Moi non, mais une collègue oui. J'y pense, elle doit savoir poser les ventouses, ce serait bien de l'avoir à proximité.

Mme FERRANT : (hausse les épaules.) En somme, vous êtes également agent immobilier.

L'ABBé : Vous me préféreriez agent de change !

Mme FERRANT : Pourquoi vous me dites cela ?

L'ABBé : ça m'a échappé.

Mme FERRANT : (Elle observe le tas d'enveloppes) Votre courrier aussi semble vous échapper Vous ne l'ouvrez pas ?

L'ABBé : Pour l'instant je suis occupé par l'éclairage de la crèche. Pensez à mon local, c'est très sérieux. Quant à mon courrier, je vais l'ouvrir, dès que vous aurez fermé la porte... à cause des courants d'air !

(Le diable se frotte les mains, Dieu est contrarié.)

Mme FERRANT : J'ai compris, je vais à ma répétition (Elle sort.)

L'ABBé : (Il reprend la grande enveloppe, en retire la plus petite, relit.) ...

"Pour vos oeuvres". Après tout, c'est un don (Il lève les yeux au ciel.)

N'est-ce pas ? (il prend son blouson , sa serviette, et sort).)

(Le diable applaudit, Dieu est dubitatif.)

 

 

DIEU : Je crains que nous nous connaissions.

Le DIABLE : Et depuis longtemps. La pomme ?

DIEU : C'est moi. Le serpent ?

Le DIABLE : C'est moi.

DIEU : Vous n'avez pas perdu de temps. Vous avez même dû arriver bien avant moi vu le désordre que je trouve ici.

Le DIABLE : Pardon, pardon, je n'ai encore rencontré personne de chez moi.

DIEU : à vrai dire, moi non plus. Ici comme partout d'ailleurs, aujourd'hui, je ne reconnais plus les miens.

Le DIABLE : Comme ils disent ici, je me sens à côté de mes pompes.

DIEU : ... De vos pompes et de vos oeuvres !

Le DIABLE : (accuse le coup.) Peut-être que l'on regarde le monde de trop haut. On devrait venir plus souvent sur le terrain.

DIEU : Non, c'est plutôt une erreur de conception. J'aurais du travailler un jour de plus... Le dimanche.

Le DIABLE : Ah !.. Disons que c'est une erreur de Genèse.

DIEU : (accuse le coup.)

Le DIABLE : Un partout. (Il se frotte les mains.)

En tout cas, notre Père André semble en avoir ras la soutane...

DIEU : Un peu de respect je vous prie... Non, je ne vous prie pas. Ne chargez pas cet homme qui passe son temps à gérer les difficultés et les complications matérielles de sa paroisse plutôt que de conduire son troupeau de paroissiens.

Le DIABLE : J'ai bien vu. Et ce qui me navre...

DIEU : Vous, navré ?

Le DIABLE : Ce qui me navre, c'est que je n'y suis pour rien. Avec moi, je peux vous assurer que ce serait pire. Mais j'ai déjà tellement à faire avec les miens. Souvent leurs intentions m'échappent.

DIEU : Il est vrai que chez vous, c'est pavé de bonnes intentions !

Le DIABLE : C'était, c'était. Aujourd'hui, sous le pavé il y a la plage. Leurs bonnes intentions, certains parviennent à les réaliser, c'est le monde à l'envers.

DIEU : (approuve.) C'est le monde à l'envers.

Le DIABLE : Suffit qu'on trouve un homme sympathique pour dire de lui que c'est un bon diable ! Ben non !

DIEU : Et quand on dit d'un autre qu'il ne l'emportera pas au paradis, je le vois arriver surchargé de bagages...

Le DIABLE : Votre purgatoire doit commencer à déborder. C'est un peu comme qui dirait votre camp de sans papiers ?

DIEU : Sauf que pour moi, il est hors de question de les renvoyer chez eux !

Le DIABLE : Et cette histoire d'enveloppe... C'est bizarre, je ne vois personne de chez moi dans ce coup là.

DIEU : Je n'y vois pas très clair non plus, et pourtant, je devrais être au courant de tout. S'il n'y avait que ça. Par exemple, quels mots vont-ils pouvoir inventer le soir de Noël pour parler d'Amour et de Paix en évoquant Nazareth, Bethléem, la Palestine...

Le DIABLE : Vous leur servez de prétexte, ils vous mettent à toutes les sauces, et ils font comme si vous n'étiez pas là. !

DIEU : J'arrive à me demander si j'existe !

Le DIABLE : Vous voulez que je vous pince ?

(Entre l'abbé, suivi de Mathilde.)

MATHILDE : Mais quel froid dans cette église ! (en quittant son manteau)

L'ABBé : Quelle église Mathilde ? (en quittant son blouson)

MATHILDE : Ben... L'église, notre église...

L'ABBé : Alors dites-moi : il ne fait pas très chaud dans notre église. Mais n'exagérons rien, l'eau n'est pas encore gelée dans le bénitier ?

MATHILDE : Tout de même pas. Dieu merci !

DIEU : Il n'y a pas de quoi.

(Le diable se penche vers l'abbé.)

L'ABBé : Remarquez, ce serait très branché pour la messe de minuit : je vous mets un glaçon pour votre signe de croix ?

(Dieu fronce les sourcils, le diable rit de bon coeur.)

MATHILDE : Père André, vous blasphémez !

L'ABBé : Excusez-moi, ça m'a échappé !

MATHILDE : J'espère que l'on aura du chauffage cet après-midi pour continuer l'installation de la crèche ?

L'ABBé : Oui Mathilde, mais juste une heure, ne gaspillons pas.

MATHILDE : économie, économie, je sais. à propos, cet argent dans l'enveloppe que je vous ai apportée, d'où vient-il ?

L'ABBé : Je ne peux pas vous le dire Mathilde. D'ailleurs, très sincèrement, je ne le sais pas.

MATHILDE : Vous avez compté ? Il y en a pour combien ?

L'ABBé : Je n'ai pas compté. Disons beaucoup. Beaucoup trop.

MATHILDE : Si c'est un don, il n'y en a jamais trop. Si c'est votre cadeau de Noël, c'est un vrai miracle !

L'ABBé : Avec le logo d'une compagnie d'assurance dans un coin de l'enveloppe... Je n'appelle pas ça un miracle... Ce serait plutôt du sponsoring !

MATHILDE : Et vous n'avez pas une idée de la personne qui a pu vous offrir une telle somme ?

L'ABBé : Mais ce n'est pas pour moi Mathilde. écoutez, puisque vous en avez eu connaissance je vais vous dire ce que je peux vous dire. N'oubliez pas que cette enveloppe m'était adressée et a été déposée dans le confessionnal...

MATHILDE : C'est vous qui auriez dû la découvrir... Je ne devrais pas le savoir... Secret de confessionnal !

L'ABBé : C'est tout à fait ça. On me demande un service : changer ces francs contre des euros !

MATHILDE : Alors c'est une histoire pas très catholique, enfin, plutôt louche.

L'ABBé : On ne se serait pas adressé à moi s'il en était autrement. (Le diable se penche vers l'abbé) Si j'utilise cet argent, ce sera pour le bien de tous, mieux que le blanchir, je le rends plus blanc que blanc, il devient blanc immaculé...

MATHILDE : (Dieu s'est penché vers elle). Mais il ne vous est pas destiné. On vous a demandé un service. Vous approprier cet argent, ce serait voler, vous vous rendez compte, voler !

L'ABBé : D'autre part, c'est le produit de quel commerce, quelle ignominie, et à qui va-t-il servir, et à quoi ?

MATHILDE : (Le diable se penche.) C'est peut-être une secte. C'est peut-être pour organiser des messes noires

(Le diable se frotte les mains, Dieu fronce les sourcils.)

L'ABBé : MATHILDE : , n'allons pas trop loin.

MATHILDE : ça m'a échappé !

L'ABBé : Blanchir de l'argent pour faire dire des messes noires...

MATHILDE : Oui, ben, excusez-moi ! il faut savoir qui est ce personnage, après, on avisera.

L'ABBé : Recherchez sans moi, je suis moralement exclu de l'enquête.

MATHILDE : Je sais très bien que vous serez le premier à rechercher la vérité. Je vous connais. Vous allez vous démener seul, comme à votre habitude, pour ne déranger personne. Vous vous droguez de fatigue Père André, prenez un peu soin de vous, ce sera mieux pour tout votre entourage.

L'ABBé : Je vais y penser Mathilde, dès que j'aurai un peu de temps.

 

(Entre Sonia. Mathilde la regarde, surprise)

(Disparition de Dieu et du diable.)

 

SONIA : La porte était entrouverte, je me suis permis d'entrer.

(Mathilde s'éclipse) Bonjour m'sieur l'abbé. Vous avez eu droit à votre leçon de morale ?

L'ABBé : Vous connaissez Mathilde, un peu bourrue, mais toujours aux petits soins pour moi. Elle gère ma maison depuis trente ans et elle le fait bien, alors, ses petites crises d'autorité, je les supporte très volontiers.

Et vous Sonia, quelle crise vous a fait pousser la porte de la cure, car en général, quand vous venez me voir, c'est rarement pour passer au confessionnal... Quoique...

SONIA : Quoique quoi ?

L'ABBé : Rien, ça m'a échappé. Que puis-je pour vous ?

SONIA : Avez-vous parlé de moi à Mme Ferrant pour la chorale ?

L'ABBé : Mais pourquoi ne lui demandez vous pas vous-même ?

SONIA : Il faudrait que je puisse la rencontrer. Dès qu'elle m'aperçoit elle fuit. C'est vrai, ça la gène que je gagne ma vie au lit. Nous en avons souvent parlé ensemble, vous et moi. Mais je ne m'en cache pas, c'est la transparence, et je paie des impôts. Alors que j'en connais d'autres qui couchent au noir, et qui chantent à la chorale...

L'ABBé : Sonia, pas de médisance, pas de délation...

SONIA : Ce qui me contrarie le plus, ce n'est pas qu'elles couchent, ça, c'est leur problème, mais elles chantent faux !

L'ABBé : ça c'est juste ! (Ils éclatent de rire tous les deux.)

SONIA : ça me ferait tellement plaisir de chanter pour la messe de minuit.

L'ABBé : Je suis désolé, mais deux fois déjà j'ai demandé. Elle me répond qu'elle ne prend plus personne, et si je lui demande aujourd'hui, je sais ce qu'elle me répondra : ce n'est pas en une semaine que vous pourrez apprendre les chants. Ce sera un prétexte, je le sais, pardonnez-lui ; elle aussi a ses crises...

SONIA : C'est une raciste, une raciste du plumard...

L'ABBé : SONIA : , je ne peux pas vous laisser vous emporter de la sorte.

SONIA : Excusez-moi, ça m'a échappé ! Tant pis, je chanterai de ma place, parce que, à la messe de minuit, j'irai. J'y assiste chaque année, je m'y recueille à fond, je plonge dans l'émotion au maximum, forcément, il faut que j'en prenne pour un an.

L'ABBé : (un peu interrogateur.) Mais vous entrez quand même à l'église dans le courant de l'année...comme ça...en passant...

SONIA : Rarement. Ah ! Si, quand il pleut trop, je viens me mettre à l'abri.

L'ABBé : Un p'tit coin d'parapluie... D'paradis... ça vous ressemble. Et récemment, vous êtes entrée... Hier... Ce matin ?

(Entre Francis).

FRANCIS : Père André, j'ai besoin de vous. Tout va fonctionner, mais il me manque un transfo, un seul, et après, tout est bon. J'ai éloigné un peu St Joseph et j'ai branché la Sainte Vierge, le boeuf et l'ange sont sur la même ligne et l'âne clignote avec l'étoile miraculeuse...

L'ABBé : Et l'enfant Jésus...

FRANCIS : Je l'ai oublié ! Bon, je recommence, mais là, je crois qu'un seul transfo ne suffira plus. Il va falloir investir un petit peu.

L'ABBé : Nous investirons Francis, nous investirons.

(Entre Mathilde, Sonia sort discrètement.)

MATHILDE : Je viens de voir ton éclairage Francis, c'est quand même tristounet, tu ne peux pas mieux ?

L'ABBé : FRANCIS : n'a pas actuellement les moyens de faire toute la lumière sur le mystère de la Nativité !

FRANCIS : Je manque encore d'éléments.

MATHILDE : Il te faut des preuves ?

FRANCIS : Non, deux transfos !

L'ABBé : Tu les auras Francis, et peut-être davantage.

FRANCIS : Vous allez taper dans votre enveloppe personnelle ?

L'ABBé : Quelle enveloppe ?

FRANCIS : Vous avez peut-être des fonds secrets !

MATHILDE : Qu'est-ce qui te fait dire ça Francis ?

FRANCIS : Je plaisantais. Mais reconnaissons que le matériel vieillit, il n'a pas changé depuis le temps où mon père venait l'installer. Je m'en souviens, j'étais enfant de choeur et je venais l'aider la semaine de Noël. ça ne sert qu'une fois par an d'accord, mais notre crèche n'est plus aux normes.

L'ABBé : Les locataires ne se sont pas encore plaints. J'espère que nous n'aurons pas de contrôle.

FRANCIS : Contrôle fiscal ?

L'ABBé : Non, contrôle de sécurité ; tout est surveillé maintenant.

MATHILDE : (soupçonneuse) .ça t'impressionne tant que ça un contrôle fiscal ?

FRANCIS : J'en entends tellement parler. Personne n'est à l'abri.

MATHILDE : N'aurais-tu pas la conscience tranquille ?

L'ABBé : Francis, refais-moi la liste des fournitures pour cette installation et apporte-la moi au plus tôt. ça devient urgent.

 

(Entre Mme Ferrant.)

Mme FERRANT : Francis, tout le monde sait que l'enfant Jésus est né dans une région qui était déjà bien tourmentée, et que ça ne c'est pas arrangé depuis, mais ce n'est pas une raison pour décréter le couvre feu dans notre crèche. C'est quand même Noël !

L'ABBé : On se calme, on se calme Mme Ferrant. Nous contrôlons la situation. Parlez-moi plutôt de vos répétitions. Tout le monde est là ?

Mme FERRANT : La petite Pelletier a une angine.

MATHILDE : Il lui faudra une remplaçante...

Mme FERRANT : Non, nous n'avons plus le temps. Si elle n'est pas remise, je chanterai sa partie.

MATHILDE : Vous serez moins à l'aise pour diriger...

Mme FERRANT : Ne vous inquiétez pas. Et votre courrier... Vous craignez toujours les courants d'air ?

L'ABBé : Oui, et méfiez vous , si vous attrapiez une angine vous aussi !

(Mme Ferrant sort.)

 

MATHILDE : ça l'intéresse votre courrier. Ah !

FRANCIS : (regarde le tas d'enveloppes.) C'est vrai, vous devriez vous occuper de votre courrier. Il y a peut-être des lettres urgentes...

MATHILDE : Urgentes ou pesantes (Elle regarde Francis.)

FRANCIS : Je vais vous préparer la liste du matériel. (Il sort.)

MATHILDE : Encore quelqu'un qui s'intéresse à votre courrier. Ce n'est tout de même pas...

L'ABBé : Ce n'est tout de même pas un drame que d'avoir un peu de courrier en retard. Et la boite à musique ?

MATHILDE : Je vais la chercher. Cette histoire d'enveloppe a coupé mon élan tout à l'heure. (Elle sort.)

L'ABBé : Elle a bien de la chance d'avoir de l'élan, moi, je commence à avoir les jambes coupées.

 

(Dieu et Diable : apparition.)

Le DIABLE : Je vous disais qu'avec moi ce serait pire mais (Il désigne l'abbé.) en matière de harcèlement, vous n'êtes pas mal du tout.

DIEU : Où j'avais installé la quiétude, je vois naître la méchanceté, les bons deviennent agressifs, souvent gratuitement d'ailleurs ; le sourire disparaît sans motif, l'indifférence efface la responsabilité. On met en vitrine les méfaits de vos mauvais en les présentant comme des actions dignes de promotion, et vous n'avez même pas de quoi triompher car souvent, vous n'y êtes pour rien.

Le DIABLE : Je vous le disais, ils nous échappent. C'est de plus en plus difficile de gérer. La réalité terrestre dépasse la fiction céleste. Ne lâchez quand même pas votre Père André car il commence à m'intéresser.

DIEU : Je voudrais bien voir ça !

Le DIABLE : Aujourd'hui tout arrive, et dans tous les milieux. Que voulez-vous, je ne suis pas comme vous, je ne suis pas là pour faire avancer les choses dans le bon sens. On a son manque de dignité !

(Entre l'électricien.)Enfin quelqu'un de chez moi, un mauvais, modèle de véreux, un vrai sale type... Il est parfait.

L'éLECTRICIEN : Francis sort de ma boutique ; qu'est-ce qu'il me dit, vous modifiez votre commande ?

L'ABBé : Je n'avais rien commandé, je vous avais demandé un devis.

L'éLECTRICIEN : Pour moi c'est pareil. J'ai passé vingt minutes pour vous le préparer ; mon temps, je me le fais payer.

L'ABBé : Vous n'aurez peut-être rien perdu car je vais allonger ma commande.

L'éLECTRICIEN : Ne comptez pas en tout cas que j'allonge les délais de paiement.

L'ABBé : Je m'en doutais, vous serez payé comptant.

L'éLECTRICIEN : Vous avez fait un héritage ? Ou bien vous allez emprunter à la banque ?

L'ABBé : C'est peut-être déjà fait !

L'éLECTRICIEN : ça non, je viens de passer à la banque, ils ne vous avaient pas encore vu.

L'ABBé : Rien d'étonnant, je n'y vais jamais. ça vous contrarie ?

L'éLECTRICIEN : Bon, faites vite pour votre commande, je n'ai peut-être pas tout en stock, les éclairages des crèches, c'est pas ma spécialité, et je suppose que c'est urgent ?

L'ABBé : On s'en occupe, nous allons faire vite.

Le DIABLE : (à Dieu.) N'est-ce pas qu'il est très bien ?

(L'électricien sort. L'abbé reprend son devis. Dieu soupèse la grosse enveloppe. Entre la religieuse.)

 

La RELIGIEUSE : Je peux vous voir ?

L'ABBé : Profitez-en pendant que je suis encore présentable, je sens que je suis en train de me dégrader, comme un monument en péril... Je n'ai pas dit un chef-d'oeuvre !

La RELIGIEUSE : (sourit.) Je vous trouve encore très bien ; fatigué, mais très bien.

L'ABBé : J'ai commencé à parler de votre recherche de local, mais un peu seulement.

La RELIGIEUSE : Justement, je viens de croiser le monsieur qui tient le magasin d'électricité sur la place. J'étais allée le voir. à côté de sa boutique il y a un local qui m'avait paru inutilisé. Et juste en face de l'église !

L'ABBé : Exact, et alors ?

La RELIGIEUSE : Il est bizarre ce monsieur. Il n'a pas dit non pour le local, mais ce serait trop cher pour nous. Et il a une façon de vous regarder !

L'ABBé : Pas tout le monde, les dames surtout.

La RELIGIEUSE : Il m'a... "dévisagée"... de la tête aux pieds.

Le DIABLE : (s'adresse à Dieu.) Quel bon sujet !

L'ABBé : Demeurez vigilante lorsque vous rencontrez des inconnus. Vous n'êtes plus dans votre couvent.

La RELIGIEUSE : J'avoue que je suis un peu perdue. J'espère que je peux compter sur vous

L'ABBé : Vous n'avez pas besoin de me le demander, d'ailleurs, c'est mon rôle. Vous savez que notre porte est toujours ouverte, pour entrer comme pour sortir... Et re-rentrer bien sûr

La RELIGIEUSE : Je l'ai déjà remarqué. C'est vraiment la maison du Bon Dieu.

DIEU : C'est la moindre des choses !

La RELIGIEUSE : Vous devriez vous protéger un peu vous aussi, je constate que dans la cure ça circule beaucoup. Je vois continuellement entrer et sortir toutes sortes de paroissiens.

L'ABBé : C'est très vivant ici, c'est la vérité. C'est le charme du sacerdoce ! Et vous, comment vivez-vous ?

La RELIGIEUSE : Pour l'instant je m'occupe de l'infirmerie de la communauté, et je fais aussi la comptabilité.

L'ABBé : Vous comptez les comprimés, les seringues, les malades ?

La RELIGIEUSE : (surprise, puis sourit.) J'aide notre soeur économe.

L'ABBé : La soeur économe... J'ai connu une soeur Bénédicte.

La RELIGIEUSE : C'est toujours soeur Bénédicte.

L'ABBé : Elle tient toujours ses comptes sur des grands cahiers. Elle écrivait merveilleusement bien...

La RELIGIEUSE : C'est elle qui m'a donné mes premières leçons d'informatique. Elle est chargée des cours au petit séminaire.

L'ABBé : De l'ordinateur à l'ordination...Pardon !

(La religieuse sourit gentiment.)

L'ABBé : Et aujourd'hui, vous avez quartier libre ?

La RELIGIEUSE : J'ai demandé cette journée pour ma recherche de local.

-(Le diable s'approche de la religieuse et relève sa jupe au-dessus des genoux.)

DIEU : (rabat la jupe aussitôt et s'adresse au diable),Vous êtes vraiment un obsédé vous !

Le DIABLE : (Très fier) Oui, oui ! Vous avez remarqué ?

DIEU : Oui. Eh bien, l'abbé, vous le laissez en paix. N'en rajoutez pas !

L'ABBé : Vous déjeunerez à la cure. Je vais demander à Mathilde de rajouter un couvert.

La RELIGIEUSE : Avec joie. Nous pourrons encore parler. Mais pendant que nous sommes seuls, j'ai une question à vous poser : qu'est ce que c'est que cette énorme enveloppe avec laquelle vous m'avez presque menacée ? Vous paraissiez tellement interloqué, presque fâché !

L'ABBé : C'est un souci très personnel, permettez-moi de ne pas répondre.

(Entre Mathilde.)

L'ABBé : Mathilde, vous vous connaissez...

MATHILDE : Nous avons marché ensemble de la porte jusqu'ici ce matin.

L'ABBé : Notre soeur déjeunera avec nous à midi.

La RELIGIEUSE : J'espère que je ne pose pas de problème d'intendance ?

MATHILDE : J'ai l'habitude de cuisiner pour deux, mais qu'il y en ait suffisamment pour cinq... Je pose le courrier, jetez-y un oeil quand même !

(Mathilde sort.)

La RELIGIEUSE : Je vais continuer ma prospection. Vous déjeunez à quelle heure ?

L'ABBé : Venez quand vous entendrez l'angélus.

(La religieuse sort. L'abbé compulse distraitement le courrier. Une enveloppe retient son attention,

il l'ouvre, en retire quelques liasses. Il lit un petit papier.)

"Après échange... Dans la crèche... Sous la boite à musique..." "

ça continue...

(Il s'écroule sur un siège.)


ACTE II

 

 

(Le diable souffle les réponses à l'abbé. Dieu assiste Mathilde.)

(L'abbé épluche son courrier en retard......................)

Sonnerie du téléphone

L'ABBé : Soyez gentille Mathilde, répondez !

MATHILDE : Allô... Oui... C'est la cure... Il est occupé... Bonjour Mme Mollard... Il est au plus mal, mais ça fait deux ans que... Le docteur... Quelques heures, attendez (s'adresse au Père André.) Le père Mollard est en train de passer.

L'ABBé : Qu'il attende ! Je n'ai pas le temps pour l'instant.

MATHILDE : (choquée par la réponse de l'abbé. Elle reprend la conversation)

ça ne pourrait pas attendre un peu ?... Vous avez fait le maximum... Lui aussi... Père André, c'est l'extrémité...

L'ABBé : Mais c'est fou ce que les gens deviennent égoïstes. "Je suis en train de mourir, laissez tout tomber, venez vous occuper de moi."

MATHILDE : (ahurie)Ben ! Père André !!!

L'ABBé : Mais c'est vrai ! je suis en train de m'apercevoir que j'ai à régler d'énormes problèmes pour la paroisse et un M. Mollard, sous prétexte qu'il est mourant, exige que je délaisse l'intérêt de tous pour le repos de son âme...

MATHILDE : ça alors ! Mais c'est votre rôle de prêtre !

L'ABBé : (se calme, se reprend.) Ah ! Ben oui... C'est mon rôle... Mais il faut bien que je m'occupe des autres aussi...

MATHILDE : Je leur dis quoi ?

L'ABBé : Passez-moi le téléphone. Allô ! Mme Mollard... Oui, c'est le Père André. Est-ce qu'il va si mal que ça ?... Il nous fait le coup tous les trois mois... Le docteur... C'est un téléphone sans fil que vous avez ?... Oui, passez le moi, oui le père Mollard, passez moi le père Mollard... J'attends... Allô ! Père Mollard... Alors on agonise ? Comment... Faudrait savoir... N'importe comment, je ne peux pas aller vous voir aujourd'hui, faudra attendre !... Vous ne pouvez pas parler plus fort !... Ce n'est pas possible ce soir... Mais oui je suis à votre service, comme je suis au service de tous les autres... Oh ! là, oh ! là, je vous arrête, il y a trois ans, vous ne m'avez pas fait attendre vous, quand je vous ai demandé... Comment ce n'est pas pareil, non, en effet, parce que ce n'était pas pour moi, et vous n'aviez aucune raison de me faire attendre..

(Dieu et Mathilde sont atterrés. Le diable se délecte et souffle de plus belle.)

J'aurai votre âme sur la conscience... Comment je ne peux pas vous faire ça à huit jours de Noël, mais dites donc, ce n'est pas moi qui ai choisi la date, fallait vous arranger autrement...

(Dieu bouscule le diable et souffle à son tour.) (le ton de l'abbé change)

... Vous voyez, de vous mettre en colère, ça vous a redonné du souffle. Bon ! Je passerai ce soir, avant le dîner... à l'angélus, c'est promis... mais attention, vous m'attendez !

MATHILDE : Là, Père André, je ne vous reconnais plus. Il y avait du vrai dans tout ce que vous lui avez dit, mais quand même !

L'ABBé : En tout cas, je l'ai prolongé de quelques heures non ? Et peut-être de plusieurs mois. Faut pas le connaître le père Mollard !
Mathilde, si nous parlions de choses sérieuses ?

MATHILDE : Parce que un de vos paroissiens sur le point de mourir, ce n'est pas sérieux ?

L'ABBé : Ce n'est pas un paroissien, c'est le père Mollard ! Dites-moi plutôt : où en êtes-vous de votre enquête ?

MATHILDE : Je suis bien heureuse que vous m'en parliez. Comme vous aviez déclaré que vous étiez "exclu de l'enquête", je n'osais pas aborder la question.

L'ABBé : Vous savez très bien que je n'arrête pas d'y penser, même si je ne vous en parle pas.

MATHILDE : Je n'ai rien vu de nouveau, mais j'ai noté des points intéressants.

(Elle sort un carnet de sa poche.)

L'ABBé : Je vous trouve très professionnelle Mathilde !

MATHILDE : Moquez-vous. écoutez : premièrement, êtes-vous allé faire l'échange à la banque ?

L'ABBé : Non, mais vous avez raison, quelle que soit l'issue de cette affaire, il faudra bien les échanger ces maudits francs.

MATHILDE : Surtout si nous devons les garder, on ne sait jamais ! Deuxièmement, j'ai noté des réactions ou des réflexions des gens qui passent ici, c'est quelquefois troublant : tout d'abord cette petite religieuse qui débarque sans prévenir...

L'ABBé : Si, elle avait prévenu, je n'avais pas lu sa lettre. Je pense qu'elle est hors de cause, vous l'avez vue comme moi hier à midi.

MATHILDE : Si vous voulez, mais sans certitude. Ensuite Francis : c'est le premier qui soit passé à la cure hier matin. Il avait pu également passer à l'église, et il est normal qu'un ancien enfant de choeur pense au confessionnal. Et vous avez vu comme il s'intéressait à votre paquet de courrier. Il devait chercher son enveloppe. Il vous a parlé aussi de vos fonds secrets pour payer la facture.

L'ABBé : Mais le paquet de courrier Mathilde, c'est celui que je reçois de la poste.

MATHILDE : Peut-être, mais ce sont des enveloppes. Et cette crainte d'un contrôle fiscal ! Et votre protégée, cette Sonia que je n'aime pas beaucoup...

L'ABBé : Vous avez tort, c'est une fille qui a du bon sens et très bon coeur.

MATHILDE : C'est votre point de vue. Vous évoquez Marie-Madeleine chaque fois que nous parlons d'elle. Il est tout à fait possible qu'elle puisse amasser des sommes importantes, c'est de notoriété publique que les filles...

L'ABBé : Du même nom...

MATHILDE : (hausse les épaules) Que ces filles gagnent beaucoup d'argent.

L'ABBé : Vous voulez en faire une Marie Bas de Laine ? Connaissant Sonia, si elle avait souhaité que je lui rende ce service, elle me l'aurait demandé. Elle est très directe.

MATHILDE : Oui, mais comme il semble qu'il s'agisse d'une somme importante. Combien déjà ?

L'ABBé : Je n'ai pas compté et puis même, je ne pourrais pas vous le dire.

MATHILDE : C'est vrai, j'oubliais .Je disais, comme il s'agit d'une somme importante, elle aurait pu vouloir conserver l'anonymat. Ce n'est peut-être pas tout à elle. Il s'agit peut-être d'un trafic...

L'ABBé : Exact, nous ne sommes certains de rien. Je réponds selon mon intuition.

MATHILDE : Et l'électricien, ah ! Celui-là, qu'est ce que ça pouvait lui faire de savoir si vous étiez passé à la banque... sinon de savoir si vous étiez venu faire changer ses francs.

L'ABBé : Je lui en avais fait la remarque, ça ne m'avait pas échappé.

MATHILDE : Ce que j'ai retenu aussi, c'est que Mme Ferrant est également passée à l'église hier matin. Et elle aussi s'intéresse à votre courrier.

L'ABBé : Ce qui l'intéresse en ce moment, c'est la chorale qui s'essouffle. Il lui manque deux choristes aujourd'hui, elle va évidemment me dire que l'église est glaciale et que la salle de catéchisme est mal chauffée.

MATHILDE : Elle n'aurait pas ce souci avec une chorale en Afrique.

L'ABBé : Ah ! C'est vrai qu'elle est trésorière de l'aide aux villages de la brousse. Mais pour l'instant elle n'est pas en Afrique, elle est en France, et c'est l'hiver Je ne vois d'ailleurs pas, d'où Mme Ferrant pourrait extraire une telle somme, elle vit presque chichement avec la pension de son défunt mari. C'était un militaire d'accord...

MATHILDE : Je ne vous l'ai jamais dit, mais plus d'une fois, je lui ai avancé quelques centaines de francs lorsque son virement était en retard. Mais je peux vous assurer qu'elle m'a toujours remboursée dès que son compte était crédité.

L'ABBé : Et vous preniez cet argent où ? Vous avez du disponible ?

MATHILDE : (qui baisse la tête) Je prenais sur l'argent de la quête, je le dépose à la banque une fois par mois seulement.

L'ABBé : Mathilde, voulez-vous que je vous dise... (Mathilde lève la tête, honteuse, craintive) Vous avez bien fait; c'est digne de vous. Comme je vous aime Mathilde. Quel réconfort souvent vous m'apportez !

MATHILDE : C'est vrai ? Pourtant vous êtes toujours brusque avec moi.

L'ABBé : Vous n'êtes pas toujours très tendre non plus.

MATHILDE : C'est par réaction, j'ai toujours peur de mal agir.

L'ABBé : Enfin Mathilde, vous ne voulez tout de même pas que je vous fasse la cour ?

MATHILDE : Vous êtes bête Père André... (elle se retourne puis enchaîne)

On continue l'enquête

L'ABBé : Mais comment donc monsieur le commissaire !

MATHILDE : (elle brandit son carnet) J'observe, je note. Mais j'ai peur ; J'en rêve la nuit, je vois des mains qui tendent des billets de banque et qui reprennent des fusils, des seringues, je vois des enfants que l'on sépare de leurs parents. L'autre nuit je voyais Sonia commandant un groupe de jeunes filles à demi nues, elles étaient maquillées à outrance, et elles pleuraient... Vous vous rendez compte où j'en arrive ?

L'ABBé : Je n'ai pas l'esprit tranquille non plus, mais il ne faut pas dramatiser Mathilde, ce n'est peut être qu'une petite malversation d'amateur...
(il hoche la tête) mais quand même...

MATHILDE : Et pourquoi ne porterait-on pas tout cet argent à la pol... le confessionnal, c'est vrai !

L'ABBé : Petit ou grand, un secret est toujours très lourd à porter ; et je compte là dessus. Nous, nous sommes du métier, mais pas celui ou ceux qui nous imposent cette épreuve, vous allez voir, Mathilde, ils craqueront avant nous.

(Mme Ferrant appelle dans le couloir) (Dieu et Diable disparaissent)

 

Mme FERRANT : Vous êtes là Père André ?

L'ABBé : Voilà notre Dame de la clé de sol !

MATHILDE : Père André, ce n'est pas gentil.

L'ABBé : Ce n'est pas méchant non plus, je vous assure. Oui, entrez Mme Ferrant.

(Mathilde se retire)

Mme FERRANT : L'intervention de la chorale à la messe de minuit commence à être compromise et il va falloir prendre une décision.

L'ABBé : Quelle décision ? Et qui doit la prendre ?

Mme FERRANT : Envisager de se passer de la chorale et c'est à vous de trancher.

L'ABBé : Il ne vous manque que deux chanteuses, qui d'ailleurs seront peut être remises d'ici le soir de Noël, ce n'est pas encore catastrophique. On pourrait envisager de faire intervenir une remplaçante...

Mme FERRANT : Hors de question, nous n'avons plus le temps. Je fais intervenir la chorale une et indivisible.

L'ABBé : Comme la légion étrangère ?

Mme FERRANT : C'est pour mon mari que vous dites ça ?

L'ABBé : Non, c'est un réflexe, excusez-moi. Vous disiez la chorale entière... ou pas du tout.

Mme FERRANT : Exactement !

L'ABBé : Je vous le répète, c'est encore un peu tôt pour prendre une telle décision, mais je vais envisager une solution de repli.

Mme FERRANT : Et laquelle ?

L'ABBé : Je vais chercher quelques cassettes que nous passerons sur la sono de l'église.

Mme FERRANT : Cherchez également quelqu'un pour assurer ce rôle parce que moi, je ne m'en charge pas, je ne suis pas compétente.

on entend l'angélus

L'ABBé : (regarde l'heure, se lève, prend son blouson)

Ne soyons pas défaitistes, vous verrez que la chorale sera au complet le soir de Noël. Et puis sinon, nous passerons des cassettes.

Mme FERRANT : Vous avez une idée de ce que vous allez passer ?

L'ABBé : J'ai un enregistrement des choeurs de l'armée rouge !

(Mme Ferrant sort en haussant les épaules)

(L'abbé fourre quelques papiers dans sa serviette et sort.)

 

(On entend parler dans le couloir, Mathilde fait entrer la religieuse.)

MATHILDE : Le Père André avait oublié que vous deviez passer, mais je m'en occupe également. (elle cherche sur le bureau) Voilà vos adresses.
(elle lui tend un papier)

La RELIGIEUSE : (elle le consulte) Ils habitent dans les environs...

MATHILDE : Oui, mais les locaux en question sont dans le centre.

La RELIGIEUSE : Quel dommage que celui de l'électricien soit trop cher, il est idéal.

MATHILDE : Même si vous aviez été d'accord sur le prix, il aurait trouvé une autre raison pour vous le refuser. Ne regrettez pas.

La RELIGIEUSE : Quel drôle de type quand même !

MATHILDE : Un drôle de type pas drôle du tout ; moi je vais lui en reparler de son local... Nous avons un contentieux en suspens tous les deux.

La RELIGIEUSE : Je ne veux pas mobiliser tout le monde avec mon projet, et vous êtes déjà tellement occupés. L'abbé semble donner des signes de fatigue.

MATHILDE : La cure, c'est un entonnoir. On y retrouve un peu tous les problèmes du secteur, et le Père André, lui, c'est un paratonnerre à soucis, il les attire et après il se débat pour apporter des solutions.

La RELIGIEUSE : J'ai été bien surprise au début, gênée même par ses boutades, ses pirouettes, ses réflexions presque caustiques. Je comprends maintenant que c'est sa façon de garder ses distances, de conserver du recul pour éviter de s'emporter, de prendre des décisions à chaud ou d'entamer son moral.

MATHILDE : Il est vrai que fut un temps où il entrait en conflit sans hésiter. Aujourd'hui, il contourne et il désarme. C'est moins éprouvant pour lui et les résultats sont meilleurs.

La RELIGIEUSE : J'espère que j'aurai l'occasion de le rencontrer souvent. Aujourd'hui par exemple, il a oublié notre rendez-vous, pensez-vous que je puisse l'attendre ?

MATHILDE : Vous pouvez. S'il tarde trop, vous reprendrez rendez-vous.

Sonnette

 

(Mathilde va ouvrir. Elle revient, fait entrer Sonia. Elle s'adresse à elle un peu sèchement)

Il y a déjà quelqu'un qui l'attend. Vous pourrez faire la causette !

(elle sort, Sonia fait quelques pas puis s'assoit, comme dans une salle d'attente)

SONIA : C'est comme chez le médecin ! (elle s'amuse)

La RELIGIEUSE : Vous aviez rendez-vous ?

SONIA : Non, moi, c'est pour une urgence. Et vous ?

La RELIGIEUSE : Je suis déjà venue, c'est pour une affaire en cours.

SONIA : Vous êtes en traitement ... (elles éclatent de rire toutes les deux)

La RELIGIEUSE : Je lui ai demandé de me rendre un service, mais je regrette presque de l'avoir fait. Il est tellement occupé !

SONIA : N'ayez crainte, si cela est dans ses moyens, occupé ou pas, le service, il vous le rendra.

(la religieuse parle avec l'enthousiasme de la foi, elle est illuminée)

La RELIGIEUSE : J'ai l'intention de venir m'installer en ville. Pendant neuf années je ne suis pratiquement pas sortie, puis j'ai ressenti le besoin de venir rencontrer le monde pour mieux me consacrer à lui.

SONIA : (répond d'une façon plus pragmatique, quelquefois gênée)

-Je vous comprends. Moi, je n'aurais jamais pu travailler en maison, enfin, je veux dire enfermée.

La RELIGIEUSE : Aimer son prochain en lui consacrant sa vie spirituelle pour le salut de son âme, c'est bien, mais c'est bien aussi de venir l'aider physiquement !

SONIA : Ben... oui !

La RELIGIEUSE : Aller au devant de l'homme et lui apporter le soulagement qu'il attend.

SONIA : Ben... oui !

La RELIGIEUSE : Ce n'est pas qu'un simple geste d'amour !

SONIA : Ben... oui !

La RELIGIEUSE : Là est le sacerdoce !

SONIA : Oh ! Oui !

La RELIGIEUSE : Et sans en tirer un bénéfice matériel !

SONIA : Ah ! Si !

La RELIGIEUSE : (qui revient un peu sur terre) C'est vrai, vous n'êtes peut être pas en religion ?

SONIA : Non, je suis dans le privé et au bénéfice réel ! Mais je crois que nous vivons notre sacerdoce, comme vous dites, avec pas mal de points communs. C'est une question d'interprétation et de sincérité. Nous en avons parlé souvent avec le Père André.
Et nous sommes d'accord pour reconnaître que le bien à faire pour son prochain supporte quelques nuances selon qu'il est vu d'un monastère ou de la rue, mais il est toujours louable. Votre démarche est bonne, vous allez vous en rendre compte chaque jour. Vous allez connaître ceux à qui vous apportez un mieux.

La RELIGIEUSE : C'est vrai ? Vous pensez que je ne me trompe pas ?

SONIA : La sincérité ne peut pas être une erreur ; en revanche, elle peut être une faiblesse. Il faut s'en protéger. Choisissez bien vos protecteurs. Je vous parle en connaissance de cause.

La RELIGIEUSE : Et votre urgence, c'est grave, si je ne suis pas indiscrète ?

SONIA : C'est un problème musical. Vous ne chantez pas par hasard ?

La RELIGIEUSE : Chanter fait partie de notre vie quotidienne.

SONIA : Mais c'est vrai, alors, nous allons peut-être oeuvrer ensemble, dans le domaine musical j'entends !

La RELIGIEUSE : Vous me parliez de rue tout à l'heure, vous chantez dans les rues ?

SONIA : Non, pas du tout, et j'ai l'intention de chanter bien à l'intérieur, pas au chaud peut-être, mais à l'intérieur. Vous connaissez des cantiques, des chants de Noël bien sûr !

La RELIGIEUSE : ça, c'est un répertoire qui grandit avec nous.

SONIA : épatant, je vais vous expliquer...

(on entend la voix de l'abbé dans le couloir. Il entre avec Mathilde)

L'ABBé : Dieu vous bénisse mesdames ! Je vois que je vous ai fait attendre.

La RELIGIEUSE : Rassurez-vous, c'est une attente qui a été très positive.

SONIA : Et sans doute constructive.

L'ABBé : A la bonne heure, la cure devient un atelier de construction.
(Il s'adresse à la religieuse.) Je pense que vous voulez me parler des adresses que l'on vous a trouvées.
(il s'adresse à Sonia) Et vous de (il fredonne en battant la mesure)

La RELIGIEUSE : Oui, c'est ça !

MATHILDE : (Elle attire l'abbé à l'écart. Ton confidentiel) Et le père Mollard ? A vous voir, presque guilleret, on ne dirait pas que vous venez d'administrer un mourant !

L'ABBé : Mais je n'ai administré personne. Quand je suis arrivé chez les Mollard, à l'angélus, le mourant était dans son fauteuil et il chipotait sur le menu du réveillon.

MATHILDE : Le voilà reparti jusqu'à Pâques.

L'ABBé : Je vous le disais...

Sonnette

 

(Mathilde va ouvrir. L'abbé se dirigeait vers la religieuse et Sonia. Entre Francis)

FRANCIS : Bonsoir tout le monde ! Père André, je vous apporte la nouvelle liste de matériel ; mais j'aimerais bien que vous veniez voir sur place ce que j'ai prévu, il n'y en a pas pour longtemps.

L'ABBé : (s'adressant aux deux dames) Vous m'accordez encore cinq minutes.-SONIA : Je peux revenir demain matin, il est déjà 8 heures et demie. J'ai du nouveau pour vous.

La RELIGIEUSE : Si je peux vous attendre. Demain je ne pourrai peut être pas venir.

(L'abbé sort avec Francis)

La RELIGIEUSE : (à Sonia) Qui est-ce monsieur ?

SONIA : Francis, il se charge de tous les petits travaux d'entretien à l'église, dans les salles paroissiales, à la cure... Je crois savoir que son père en a fait tout autant pendant des années.

La RELIGIEUSE : A part ces petits travaux, que fait-il dans la vie ?

SONIA : Il a une entreprise de plomberie. Là aussi il a pris la suite de son père. à quelle heure devez-vous rentrer, car je suppose que vous avez un horaire à respecter.

La RELIGIEUSE : Oui, je dois être rentrée avant 9 h et demi.

SONIA : Venez manger avec moi, nous parlerons un peu. Vous verrez le Père André plus tard.

La RELIGIEUSE : Je vais le signaler à Mathilde. (elles sortent)

 

(apparition de Dieu et du diable)

Le DIABLE : ça bouillonne, ça bouillonne. Il se passe quelque chose. Il va se passer quelque chose.

DIEU : Comme toujours, mais en principe, quand il va se passer quelque chose, je le sais. Là, je m'interroge.

Le DIABLE : Je dois avouer que mon pourri, mon véreux, je lui fais à moitié confiance, je ne le sens plus ce mauvais...

DIEU : Et tous ceux qui sont décidés à faire bien sont en train de déraper. C'est l'image de la planète. La belle planète bleue est en train de devenir bleuâtre, elle va virer au grisâtre bientôt. Ils me la salissent et de plus, ils sont en train de me la réchauffer

Le DIABLE : Ne soyons pas pessimistes, elle sera peut être bientôt en feu !

DIEU : Ce n'est pas mon objectif et je ne vous laisserai pas déborder !

 

(Entre Francis, suivi de l'électricien . On entend la voix de l'abbé dans le couloir)

L'ABBé : Asseyez-vous ! Je dis deux mots à Mathilde et j'arrive.

(Dieu et diable suivent la conversation .Mimiques)

FRANCIS : Tu factures plus vite que ton ombre. à peine la commande passée, et tu n'étais pas certain d'avoir toutes les fournitures, te voilà avec l'addition à la main ?

L'éLECTRICIEN : J'avais tout en rayon. Et en ce moment, il faut facturer en francs, dans quelques jours, ça va se compliquer avec l'euro.

FRANCIS : Tu avais tout en rayon, c'est ce qui me semblait, les lignes de guirlandes que tu as livrées à l'église ne paraissent pas de première fraîcheur.

L'éLECTRICIEN : Tu as remarqué ! Elles faisaient partie de la commande de la municipalité pour le festival de musique, il y a deux ans, ou trois ans...

FRANCIS : Il y a cinq ans !

L'éLECTRICIEN : Et personne n'est venu les chercher...

FRANCIS : Mais elles ont été facturées et payées !

L'éLECTRICIEN : ça c'est sûr.

FRANCIS : Et tu les factures une seconde fois !

L'éLECTRICIEN : Je me gênerais tiens ! Ton curé semble avoir les moyens, alors, qu'il paie ! Mais je vais lui proposer du sans facture.

FRANCIS : Tu es un beau salaud !

L'éLECTRICIEN : Est-ce que tu t'es gêné lorsque tu as fais les travaux du lavoir sur la place. Et chez la veuve Giroud ?... moitié sans facture, moitié sur la patronne.

FRANCIS : Mme Giroud est une femme respectable, je t'interdis... je ne suis pas comme toi. J'ai peut être un peu triché sur les fournitures, mais je respecte les femmes, moi ! Tout le monde a en mémoire ton comportement avec Mathilde, et tout le monde te condamne.

L'éLECTRICIEN : Ouh ! là ! Mathilde, il y a prescription, ça fait plus de trente ans. S'il fallait passer devant le maire et le curé chaque fois que l'on fait une rencontre !

FRANCIS : Avec certaines peut être, mais pas avec Mathilde.

L'éLECTRICIEN : Moi, je ne manque jamais une occasion, le plus si affinité...et même s'il faut bousculer un peu, s'il n'y a pas tout à fait affinité, tu vois ce que je veux dire.

FRANCIS : Mathilde était honnête et sincère, comment as-tu osé...

(on entend la voix du Père André)

L'ABBé : Je vous fais attendre, excusez-moi, messieurs les techniciens, je suis à vous ! Oh ! J'ai oublié d'éteindre et je n'ai pas fermé l'église.

FRANCIS : Je vous accompagne. Je viendrai terminer demain matin.

(ils sortent. Mathilde intercepte l'électricien)

MATHILDE : C'est pour le Père André ce que tu as à la main ?

L'éLECTRICIEN : J'apportais ma facture...

MATHILDE : Déjà ! J'espère que tu n'as pas appliqué le mode de calcul que tu avais utilisé pour les travaux de l'école libre !

L'éLECTRICIEN : Comment sais-tu ? Personne n'a réclamé.

MATHILDE : Personne, mais moi, je sais. Le dossier est resté quelque temps sur ce bureau. J'ai eu loisir de le consulter.

L'éLECTRICIEN : C'est une vengeance ? C'est du chantage ?

MATHILDE : Une vengeance non, trop heureuse d'avoir échappé à ce que tu me réservais. Du chantage non plus. Un rafraîchissement de mémoire, sans plus.

L'éLECTRICIEN : Alors, où veux-tu en venir ?

MATHILDE : Tu as eu la visite d'une religieuse pour ton local. Revois donc ta réponse. Et ta facture, revérifie-la.

(Mathilde reconduit l'électricien qui remet la facture dans sa poche)

(Dieu et le diable qui ont suivi la conversation réagissent différemment puis disparaissent)

 

NOIR, LE LENDEMAIN MATIN.

On entend l'angélus. (Mathilde est en train de mettre de l'ordre sur le bureau).

Sonnette

(Elle va ouvrir)

MATHILDE : Vous menez une vie de moine ! Vous vous levez aux matines !

La RELIGIEUSE : C'est la règle. Nous nous levons à cinq heures chaque matin.

MATHILDE : Vous avez pu obtenir votre journée ?

La RELIGIEUSE : Le plus difficile, c'est de pouvoir disposer de la voiture. J'aurais des achats à faire pour la communauté.

MATHILDE : Le Père André est parti de bonne heure, mais il sera là vers 8h.

La RELIGIEUSE : Est-ce que nous pourrons l'attendre ici ?

MATHILDE : Nous ?

La RELIGIEUSE : Sonia doit le voir également. Et nous avons une proposition à faire.

(Mathilde esquisse une grimace.)

MATHILDE : Vous pouvez attendre ici, mais vous serez seules, j'ai à faire à l'église...

 

Sonnette

(Mathilde regrimace et va ouvrir. Bruit de paroles dans le couloir. Sonia entre seule.)

SONIA : Tu es là, je n'ai pas vu la voiture !

La RELIGIEUSE : Une fois suffit. Aujourd'hui j'ai fait attention. Le père André sera là vers huit heures.

SONIA : Il est déjà en route ! Comment peut-il tenir ce rythme ?

La RELIGIEUSE : Il ne le laisse pas paraître, mais il est fatigué. Et ce souci personnel comme il me l'a appelé, ce souci me paraît être d'importance. Cette énorme enveloppe dont je te parlais hier soir... j'ai encore réfléchi cette nuit. Il y a eu un quiproquo entre cette enveloppe et ma lettre... il m'a dit... "pas compétent pour ce genre d'échange"... "il y en assez pour trois"...

SONIA : Dans cette enveloppe, est-ce que ce sont des documents compromettants, des photos, des faux papiers, des actes d'état civil...

La RELIGIEUSE : De l'argent...

SONIA : (marque un temps)... de l'argent...

La RELIGIEUSE : Et tous ces gens qui vont et viennent à la cure... et même à l'église... il y a l'installation de la crèche, d'accord... même toi, hier soir, quand je venais à la cure, il m'a semblé t'avoir vue sortir de l'église !

SONIA : C'est vrai, je guettais Mme Ferrant. Je l'avais vue entrer, mais j'ai dû mal surveiller, je ne l'ai pas vue ressortir.

La RELIGIEUSE : Si seulement l'abbé voulait bien se confier un peu, peut-être pourrait-on l'aider.

SONIA : Il ne dira rien. Mais cela ne nous empêche pas d'être attentives. Et cette Ferrant qui se faufile comme une anguille ; hier soir, je suis sure qu'elle m'a aperçue. Je me demande comment elle s'est débrouillée pour sortir sans que je la voie. C'est pas la première fois qu'elle me baise !

La RELIGIEUSE : Je ne comprends pas bien comment cette femme qui ne t'aime pas et que tu rencontres jamais pourrait faire pour t'embrasser ?

SONIA : ... c'est une expression... ça veut dire qu'elle m'a eue... j'essayerai de t'expliquer... (détourne la conversation) Le Père André n'arrive pas. Tu devrais en profiter pour aller...

La RELIGIEUSE : Tu as raison, il ne faut pas laisser traîner, j'y vais. (Elle sort.)

SONIA : Il faut la court-circuiter la Ferrant. Et pour le court-circuit, je vais brancher... Le Père André. Il verra que j'ai fait un effort, et puis ça le soulagera.

(Paroles dans le couloir. Le Père André entre en parlant à Mathilde. Dieu et Diable suivent et observent.)

L'ABBé : Je n'en reviens pas... l'électricien qui termine l'éclairage de la crèche.

(Diable fait la grimace. Dieu sourit.)

MATHILDE : Il a jeté ce pauvre Francis d'une force. "Je ne me mêle pas d'installer des salles de bain, alors laisse-moi faire ces branchements. Chacun son travail... il a même ajouté "à chacun son métier, le boeuf et l'âne seront bien gardés..."

Le diable fronce les sourcils. Dieu fait une mimique d'approbation)

L'ABBé : La crèche c'est OK. Reste la chorale

SONNETTE (Mathilde va ouvrir)

SONIA : Justement, j'ai une proposition à vous faire. On a monté ça hier soir avec la petite soeur. ça va vous plaire...

La RELIGIEUSE : (entre, radieuse) ...ça y est, je me suis fait sauter...

(Le Diable éclate de rire, jubile, applaudit. Dieu ferme les yeux. Mathilde qui suivait reste atterrée. L'abbé suffoque.)

L'ABBé : Ma soeur... Mais comment ?.. par qui ?

(Tout le monde abasourdi, écoute la religieuse.)

La RELIGIEUSE : J'ai eu de la chance, je suis tombée sur un jeune homme très sympathique...

L'ABBé : Mais comme ça, à huit heures du matin ?

La RELIGIEUSE : Il fallait que ce soit fait le plus tôt possible. J'ai expliqué au jeune homme que c'était la première fois...

L'ABBé : C'est encore heureux !

La RELIGIEUSE : Que j'étais nouvelle dans le quartier, enfin, Sonia m'avait bien détaillé la façon de m'y prendre. (Réaction méchante de Mathilde). ça a marché tout de suite. En cinq minutes, c'était fait... Mais, pourquoi vous me regardez comme ça. Ai-je fait quelque chose de mal ?

SONIA : Je crois qu'il y a méprise. Notre soeur s'est fait sauter la contravention qu'elle a ramassée hier. Elle était garée devant la boutique de l'électricien. Alors je l'ai envoyée au poste de police, je connais, et puis voilà...

La RELIGIEUSE : Et vous pensiez à quoi ?

Le DIABLE : (à Dieu) Ce sont vraiment des obsédés !

DIEU : Merci, j'ai remarqué.

SONIA : Rien, petite soeur, question de vocabulaire encore une fois.

Sonnette

 

(Mathilde va ouvrir, Francis entre.)

FRANCIS : ça y est !...(stupéfaction générale). Cette fois, elle est éclairée notre crèche. (soulagement général) . Effectivement, chacun son métier.

MATHILDE : Et les...

FRANCIS : Oui, ben, ça va Mathilde !

L'ABBé : Très bien. Alors, la crèche est OK ! Pour la messe, on branche la sono... OK... Francis, tu peux passer des cassettes, on te donne le programme... OK... tu branches un micro pour mon sermon... OK...

(Sonia prend le fou rire. Le curé continue.)

Si toutefois la chorale peut se produire, on fait comme prévu au départ... OK... Sonia, qu'est-ce que j'ai dit de si drôle ?

SONIA : (dans son fou rire) Non, rien, c'est bête...

(La religieuse sourit, puis rit en voyant Sonia)

L'ABBé : Mais je ne pense pas... Sonia, expliquez-nous qu'on en profite.

SONIA : (dans son fou rire) Vous dites toujours OK, OK, vous êtes le "Père OK" !

(Et elle replonge dans son fou rire, la religieuse plonge aussi, Mathilde commence à sourire, ainsi que Francis. Dieu a le visage détendu, le Diable fait la tête et s'approche de l'abbé.)

L'ABBé : Oui, je disais, ça m'étonnerait que la chorale...

(C'est le fou rire générale. Le diable se penche vers l'abbé..)

-Vous m'écoutez, oui ou merde !

(Chacun se fige, stupéfait. Le Diable jubile et applaudit.)

L'ABBé : Excusez-moi, ça m'a échappé.

SONIA : (Le fou rire a disparu.) Pardonnez-moi, vous voyez, c'était très bête. C'est nerveux sans doute. Oui, pour la chorale, nous avons une possibilité d'animation, on pense que ça vous plaira. ça changera, et ce sera mieux que des cassettes.

L'ABBé : Je dois partir. Pourriez-vous revenir à cinq heures, nous verrons ça.

(Sonia et la religieuse se regardent, et approuvent.)

SONIA : D'accord. J'ai même une idée.

(L'abbé prend sa serviette et sort, suivi de Sonia et Francis qui discutent. Dieu et le Diable se faufilent parmi eux.)

(La religieuse et Mathilde sont seules.)

La RELIGIEUSE : Quel dommage, vous ne trouvez pas, que la préparation du plus beau soir de l'année soit polluée par autant de soucis et de complications.

MATHILDE : ça va s'arranger. La crèche...

La RELIGIEUSE : C'est OK.

(Elles rient toutes les deux.) La chorale, je crois que c'est bon. Nous avons un projet avec Sonia.

MATHILDE : Avec elle, c'est ce que j'ai compris. (elle fait la grimace)

La RELIGIEUSE : Vous ne l'aimez pas n'est-ce pas. Pourtant, elle, elle vous apprécie beaucoup. Elle est très bien Sonia vous savez !

Et cette enveloppe qui tracasse le Père André.

MATHILDE : Comment ! Vous êtes au courant ?

La RELIGIEUSE : Il me l'a montrée en déclarant que c'était un souci pour lui. Et vous Mathilde, vous êtes au courant ?

MATHILDE : Oui et non. Je ne peux pas en parler, mais je cherche.

La RELIGIEUSE : Moi aussi, je cherche.

Vous êtes parente avec le Père André ?

MATHILDE : Pas du tout. Je suis venue à son service il y a maintenant trente-deux ans...J'ai connu une désillusion...J'avais pensé mariage...Et puis...Le Père André arrivait à la paroisse, il cherchait une gouvernante...Ce fut ma façon de me retirer de la vie, ce fut ma prise de voile. L'abbé n'est pas ma famille, mais la cure, c'est ma maison.

La RELIGIEUSE : Vous n'avez pas de vraie famille ?

MATHILDE : J'ai un neveu. Je le vois une fois par an. Il assiste à la messe de minuit et ensuite, il m'emmène chez lui, nous passons le réveillon ensemble, il me reconduit le lendemain matin et je passe le jour de Noël avec l'abbé. Lui aussi est seul. Et vous, vous avez une famille ?

La RELIGIEUSE : Je ne pense pas. Après mes études au pensionnat, j'ai prononcé mes voeux et j'ai vécu dans ma communauté. La suite, vous la connaissez, je vous en ai parlé pendant le déjeuner à la cure l'autre midi.

MATHILDE : Et le soir de Noël ?

La RELIGIEUSE : Je serai ici pour la messe de minuit puis je rentrerai à la congrégation. C'est vrai que la veillée de Noël rassemble la famille...enfin, en principe...Mais c'est un merveilleux soir que celui de la nativité !

Bien, je repars en chasse. Merci encore de bien vouloir m'aider. A cet après-midi... Il a dit cinq heures...

(Silencieuse, Mathilde raccompagne la religieuse)

NOIR

 

Quatre heures sonnent, (Mathilde s'affaire...L'abbé entre)

L'ABBé : Je viens de rencontrer le maire, Il est d'accord pour proposer la rénovation du chauffage de l'église. Il va demander des devis, mais ce sera pour l'année prochaine, sur le prochain budget. Avez-vous du nouveau Mathilde pour...

MATHILDE : Peut-être ! Et vous ?

L'ABBé : Peut-être. Enfin si, j'ai eu du nouveau, mais ça ne va pas dans le bon sens. J'aurai plutôt un supplément. Nous nous focalisons sur des gens que nous connaissons, et c'est peut-être un inconnu, un véritable anonyme qui a trouvé cette issue à son problème.

MATHILDE : Ce n'est pas mon avis. Il faut connaître un peu les lieux, les habitudes, les mouvements qui animent l'église, non...

L'ABBé : Vous savez, Mathilde, aujourd'hui, les églises sont des points de chute privilégiés pour : les prostituées, les sans-papiers, les militaires assiégés, les réfugiés politiques, pourquoi pas les épargnants clandestins.

MATHILDE : Je cherche quand même parmi les fidèles et de l'église, et de la cure. J'ai quelques éléments.

Sonnette

(Mathilde va ouvrir, Sonia entre seule)

SONIA : Je suis un peu en avance, mais je veux être là quand tout le monde arrivera.

L'ABBé : Tout le monde ?

SONIA : C'est une surprise.

L'ABBé : Une surprise ? Je n'aime pas beaucoup ça. Je n'arrête pas d'en avoir, des surprises... dont je me passerais volontiers.

SONIA : Je pense que ce sera une bonne surprise, enfin, toutes proportions gardées. Mais elle devrait vous faire plaisir.

L'ABBé : C'est mon cadeau de Noël ?

SONIA : C'est vrai que pour Noël on échange des cadeaux. J'avais oublié.

L'ABBé : Je n'y avais jamais pensé non plus, sauf maintenant.

SONIA : Vous ne vous êtes jamais trouvé au pied d'un sapin décoré au retour de la messe de minuit ?

L'ABBé : Non. Ou alors, il y a très longtemps, j'ai oublié. Depuis, j'ai mis toute ma foi en Dieu, il ne reste rien pour le Père Noël. (il sourit)

SONIA : On ne vous invite jamais pour la veillée ?

L'ABBé : C'est une soirée consacrée à la famille, c'est normal.

SONIA : La vie est curieuse. Vous comme moi, nous sommes sollicités à longueur d'année par des gens qui ont besoin d'être écoutés, qui cherchent un soutien, de l'affection, une parole d'amour... Et le soir où tout le monde se rassemble, nous nous retrouvons seuls.

L'ABBé : La vie est curieuse, oui, mais logique. Nous sommes destinés à donner, non pas à recevoir, et c'est bien ainsi.

SONIA : Alors pourquoi Mathilde ne m'aime pas ? Et pourquoi madame Ferrant me fuit ? Celle-là ! Dès que je l'aperçois, j'essaie de la suivre. Depuis trois jours, c'est souvent vers l'église que je la vois se diriger. Je la file, je la guette...pfitt...elle disparaît. A mon avis...

Sonnette

(Sonia se précipite. Elle revient suivie de Marie-Solange, de trois autres religieuses, d'un gitan qui porte une contrebasse, et de Francis)
(elle présente) : soeur Marie-Bernard, soeur Janine, qui seront au cabinet médical avec Marie-Solange; soeur Marthe, qui dirige les chants à la communauté et...Angelo, que vous avez rencontré Père André, la semaine dernière, quand vous êtes allé voir les manouches à leur campement. Francis a bien voulu se joindre à nous. Nous avons préparé quelques chants pour pallier la défaillance de la chorale. C'est ça ma surprise.

L'ABBé : Je m'en doutais. Mme Ferrant est prévenue ?

SONIA : Elle a failli. Je l'ai encore aperçue hier soir à l'église, je vous l'ai dit, pas moyen de la joindre. Elle fuit.

L'ABBé : -Il y a peut être quelque chose...(il réfléchit et se reprend),

bien, j'écoute la surprise.

SOEUR MARTHE : Madame Mathilde nous a dit que l'on pouvait utiliser l'harmonium. Installez-vous soeur Janine !

(Soeur Janine s'installe à l'harmonium, cherche, fouille, semble en difficulté)

SONIA : (s'adresse à l'abbé) On va prendre le chant que nous connaissons le mieux. Mais les autres seront prêts, soyez tranquille !

SOEUR MARTHE : Vous vous mettez en place comme cet après-midi...(elle dépose ses partitions. Soeur Janine discute avec soeur Marie-Solange)

SOEUR M.-SOLANGE : (s'adresse à Sonia à mi-voix) Il n'est pas branché !

SONIA : (à mi-voix aussi) J'allais le faire quand vous avez sonné. Il me semble qu'il a une idée derrière la tête !

SOEUR M.-SOLANGE : Mais tu me parles de quoi ?

SONIA : Tu me demandes si j'ai branché le Père André...

SOEUR M.-SOLANGE : Mais non, je te parle de l'harmonium.

SONIA : L'harmonium...Ah!...Père André, on branche comment l'harmonium ?

L'ABBé : Mais, on ne branche pas. On pédale !

SOEUR M.-BERNARD : Au lieu de faire des gammes, vous auriez du faire du vélo !

(soeur Janine actionne les pédales et plaque quelques accords)

SOEUR JANINE : Alors il faut que je pédale, que je joue, que je chante...

SOEUR MARTHE : C'est l'enfer...Oh ! pardon.

Vous êtes prêtes mes soeurs ?

FRANCIS et ANGELO : Et nous ?

SOEUR MARTHE : Comment ?...Ah ! oui...quand je dis "mes soeurs", je veux dire tout le monde.

FRANCIS : D'accord ! (se tourne vers Angelo) Allons-y ma soeur !

 

(CANTIQUE DES NOMADES = Chanson à nous demander si la pièce vous intéresse !)

 

L'ABBé : (qui semble attendre une suite) Terminé ?

SOEUR MARTHE : Terminus vobiscum !...Oh! pardon! ça m'a échappé.

Sonnette

(Bruit dans le couloir. Surgit Mme Ferrant suivie de Mathilde, de Dieu et du diable)

Mme FERRANT : (s'adresse à l'abbé) Vous organisez un festival de jazz ?

L'ABBé : On me propose mieux que des cassettes pour la messe...

Mme FERRANT : (Le ton de plus en plus agressif) Alors, vous m'avez remplacée ! Vous n'avez plus besoin de mes services !

MATHILDE : Remplacée pour la messe seulement.

Mme FERRANT : (A Mathilde) Parce que vous êtes dans le coup aussi. Bravo ! C'est un complot ! Et bien remplacez-moi dès maintenant et définitivement. N'importe comment, il aurait fallu le faire, parce que je quitte la ville. Vous vous débrouillerez avec la chorale. Vous demanderez à celle-ci (elle désigne Sonia) de s'en occuper ! (elle commence à hurler)

L'ABBé : (Qui essaie de la calmer) Celle-ci, comme vous dites, chante juste et bien. Et ses amis aussi ! Vous quittez la ville mais vous ne serez peut être pas très loin. Vous pourrez venir...

Mme FERRANT : (s'excite) Je quitte la ville, je quitte la France, je retourne en Afrique, n'oubliez pas que mon mari est enterré là-bas.

(Le diable se penche vers l'abbé et souffle)

L'ABBé : (A mi-voix) Dans le sable chaud ! émouvant ! chaud et mouvant !

(Dieu fait un geste réprobatif vers le Diable)

MATHILDE : (Sur un ton narquois) Vous allez retrouver vos villages de la brousse ! Profitez-en pour vous assurer qu'ils reçoivent bien le montant de la collecte chaque année.

Mme FERRANT : (Hors d'elle) Vous ne comprenez pas que c'est pour ça que je vais là-bas. (et elle éclate en sanglots)

(Tout le monde est stupéfait.)

L'ABBé : Je me doute de quelque chose Mme Ferrant. Voulez-vous me parler seul à seule ?

SONIA : Elle a commencé, qu'elle continue. Nous sommes tous au courant maintenant.

Mme FERRANT : De toute façon, j'aurais averti tout le monde, mais plus tard. Tant pis. (elle retrouve son calme et raconte) Pour la première collecte, il y a sept ans, je me suis occupée de l'envoi des fonds en Afrique par l'intermédiaire de "l'Aide aux Villages de la Brousse"; notre association. L'argent n'est jamais parvenu aux destinataires. Les villages de la brousse n'ont rien reçu. Les militaires, la guérilla, l'ancien président, on m'a raconté tellement de choses. J'étais humiliée.

MATHILDE : Pourquoi n'avoir rien dit ?

Mme FERRANT : J'ai considéré cette perte comme une faute personnelle. Je suis entrée dans une rage folle. Je me suis juré que leur école, on la construirait. J'ai conservé chaque année le montant de la collecte et je devais partir cette année pour leur remettre l'argent et en surveiller l'utilisation. Je voulais tellement vous envoyer une photographie de l'école terminée avec les enfants devant...

L'ABBé : Mais c'était un projet insensé, et risqué. Si l'on vous avait volé cet argent ? Et puis, toute seule...

Mme FERRANT : Je vous l'ai dit, j'étais furieuse jusqu'à la haine... et je ne pouvais pas déposer cet argent à la banque. Comment aurais-je justifié un tel dépôt ?

L'ABBé : Maintenant, ce sera possible. Nous allons reprendre le problème au départ, ce qui ne vous empêchera pas d'aller sur place... avec un chèque par exemple.

Mme FERRANT : Dieu vous entende !

DIEU : C'est noté.

(Il y a un instant de gène)

SONIA : Est-ce que notre prestation vous convient ?

L'ABBé : Euh !...Oui, c'est très très bien, ce sera nouveau.

SONIA : Alors, on voudrait répéter la suite. On peut utiliser la salle de catéchisme ?

L'ABBé : évidemment !

(Sonia, Francis et soeur Marie-Solange sortent.)

Madame Ferrant, passez me voir demain matin, il faut que l'on s'organise. (elle sort)
(à Mathilde) Je me trouve coincé maintenant. Mon enveloppe de commission, je comptais l'utiliser pour payer les fournitures électriques.

MATHILDE : Servez-vous de la mienne.

L'ABBé : Votre quoi ?

MATHILDE : Mon enveloppe. Celle que vous devez me déposer sous la boite à musique de la crèche.

L'ABBé : (S'écroule sur un siège) Mathilde, vous voulez m'achever ! Vous plaisantez ? Vous n'avez tout de même pas ...

MATHILDE : Rassurez-vous, ce n'était pas pour moi. Depuis que je suis à votre service, je vous entends rêver de faire un voyage à Rome. Alors, depuis une vingtaine d'années, je prélève les pièces de 10, 20 et 50 centimes du plateau de la quête le dimanche, et je les mets de côté. Vos paroissiens n'ont jamais été généreux avec vous, et je doute que le jour où vous quitterez notre église, ils aient un beau geste pour vous, alors, j'ai pris les devants. Vous voyez, ce n'est même pas un détournement, disons que c'est votre mutuelle retraite... et la somme est modeste, mais suffisante...

L'ABBé : Mon voyage à Rome... Je suis abasourdi... Je ne sais que vous dire...

MATHILDE : Ne me condamnez pas, c'est tout ce que je vous demande.

Sonnette

(Mathilde va ouvrir, fait entrer Francis)

FRANCIS : Je viens de rencontrer l'électricien. Il me charge de vous dire que les fournitures, c'est cadeau. (Le diable est désespéré.) Et aussi, il faut que je dise à la petite soeur que pour son local, c'est O K. (il rit) Entre nous, il lui doit quelque chose. C'est lui qui avait téléphoné au poste de

police, pour lui faire mettre une prime. Je fonce à la répétition.

ARRêT SUR IMAGE

DIEU : Il faut que je me remette d'urgence au travail.

Le DIABLE : Un dimanche complet ?

DIEU : Une semaine complète, sept jours complets, mais attention... pas de serpent !

Le DIABLE : Alors, ne remettez pas de pomme ! OK ?

DIEU : OK.

(Ils se regardent, esquissent un sourire, Dieu hausse les épaules, le Diable se gratte la tête.)

(Ils sortent.)

 

RIDEAU